Plan Triennal guinéen

Régime d’Autonomie (Loi-Cadre)
Premières années d’Indépendance


B. Ameillon
La Guinée : Bilan d’une Indépendance

Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages


6. Le plan guinéen.

Toutes ces réformes de structure avaient pour but de faciliter l’application du Plan qui fut lancé le 1er juillet 1960 par une alllocution de Sékou Touré qui demandait au peuple un engagement total afin de réaliser l’égalité des hommes et des femmes et la démocratie fondamentale. Dès le départ, l’ambition était vaste :

L’entreprise politique de la Guinée n’est pas seulement limitée a notre nation ; elle n’est pas seulement limitée à l’ensemble de l’Afrique ; elle déborde le cadre continental pour s’inscrire désormais au niveau de la vie universelle.

Cependant les probabilités de succès étaient présentées comme grandes :

Notre société conserve ses bases communaucratiques, un sens aigu de l’intérêt collectif et c’est là où réside indiscutablement notre plus grande chance d’aller aisément vers les objectifs que nous nous sommes fixés.

L’existence même du Plan avait été annoncée le 1er mai 1959, lors de la visite officielle de N’Krumah (1) :

A partir du 1er janvier prachain, le premier plan triennal pour le développement économique de la République de Guinée sera mis en exécution. Pour une valeur de plus de 10 milliards, ce plan, dont l’essentiel sera consacré à la révolution agricole pour l’augmentation de la production et de la productivité, partira aussi bien de l’appréciation objective de l’intérêt national que de celui, particulier des différentes collectivités de base.

Avec quelques retards, les principes mêmes du Plan avaient été rendus publics, a la conférence économique de Kankan en avril 1960, qui suivit d’un mois la création d’un Ministère du Plan.

Il s’agissait d’abord d’un plan obligatoire :

Le caractère obligatoire du Plan est absolu à l’égard de tous les organismes publics et semi-publics, qui seront appelés à jouer un rôle de plus en plus dominant dans l’économie guinéenne. En ce qui concerne les entreprises individuelles ou privées, le caractère obligatoire du Plan se manifeste par un ensemble de nécessités nationales qui amènent les sociétés privées à insérer leurs actes dans le cadre du programme du développement économique du pays.

Il s’agissait d’autre part d’un plan qui reposerait sur les exigences imposées par les lois économiques objectives et notamment par les lois de développement équilibré et proportionnel.
Ses buts étaient doubles. Il devait élever le niveau de vie, mais il devait parallèlement accroitre le taux d’accumulation c’est-à-dire l’épargne nationale de 3 à 20 % du revenu national :

Dans l’étape de démarrage que constitue notre plan triennal, nous commencerons à élever notre taux d’accumulation, mais il n’est pas encore possible de lui faire atteindre un niveau suffisant. C’est pourquoi, une partie de nos investissements seront réalisés, grâce aux concours de pays amis, mais il nous faut préparer rapidement le remplacement de ces concours extérieurs par notre accumulation nationale : c’est là une de nos tâches essentielles.

La modernisation de l’agriculture apparut dans ce pays essentiellement rural comme le premier moyen de parvenir à ces buts. Mais par modernisation, on entendait d’abord réorganisation sociale par multiplication des coopératives. Cinq cents coopératives agricoles de production (C.A.P.) étaient prévues dès le premier Plan. Elles devaient grouper les producteurs d’un village, de manière à réaliser des collectivités équilibrées disposant de multiples productions, bénéflciant d’une commercialisation régularisee et d’une mécanisation progressivement accrue. Elles devaient exclure toute création d’une bourgeoisie agricole. Dans les plus brefs délais seraient mises à la disposition des villages, des petites machines facilement transportables, actionnées soit à la main, soit par de petits moteurs diesel, soit par des barrages construits par les villageois. Plus tard, seraient fabriqués des batteuses, des concasseurs de riz, des décortiqueuses, des pressoirs et filtres à huile de palmiste, des charrettes, des brouettes.

L’organisation interne était démocratique, et la répartition du produit se ferait en fonction du travail fourni. La création en serait d’ailleurs progressive. Dans une première étape, l’entraide mutuelle serait élargie, puis seraient créés des champs collectifs, qui peu à peu couvriraient toutes les superficies cultivables à l’exception des tapades c’est-à-dire des jardins familiaux. On espérait ainsi que malgré la liberté d’adhésion, la transformation du monde rural n’en serait pas moins profonde. L’exemple serait donné par des centres régionaux de modernisation rurale (C.M.R.) et des centres nationaux de production agricole (C.N.P.A.) : ils constitueraient autant de secteurs pilotes qui auraient en outre l’avantage de fournir le surplus de production indispensable pour l’achat du matériel, pour l’échange et le remboursement des crédits consentis par les pays étrangers.
En même temps, le plan prévoyait un début d’industrialisation par la multiplication et la déconcentration régionale d’entreprises industrielles moyennes. Il s’agissait surtout d’industries agricoles : soit fabriques d’outils, de charrettes, soit rizeries, fabriques de jus de fruits, de tapiocas, huileries de palme, d’arachide, savonneries, usines de bananes séchées et de farine, de cigarettes, d’ananas, abattoirs. Accessoirement des industries diverses étaient envisagées, meubles en bois, ustensiles de cuisine, clous, mécaniques légères, plastique.
Outre les réformes de structures qui donnaient au secteur d’Etat et au secteur coopératif un rôle dominant, le plan reposait sur un système de prix qui devait étre utilisé comme instrument d’accumulation nationale. Les denrées de première nécessité seraient fixées au prix le plus bas pour améliorer le niveau de vie de la masse. Les biens d’équipement seraient fixés à leur prix de revient. Quant aux autres produits, ils seraient vendus avec une marge bénéficiaire retenue par l’Etat et qui serait calculée de manière à permettre l’épargne publique prévue dans le plan.